En Suisse, l’invalidité est souvent perçue comme un scénario lointain, réservé à des cas extrêmes. Pourtant, la réalité statistique est tout autre : un assuré sur deux sera confronté, au cours de sa vie, à une période d’incapacité de travail prolongée. Et lorsque cette incapacité devient durable, les répercussions financières peuvent être sévères.
Dans ce contexte, il est crucial de comprendre comment fonctionne notre système de prévoyance en cas d’invalidité, quels sont ses mécanismes, ses limites, et pourquoi il est essentiel d’anticiper.
Invalidité : de quoi parle-t-on exactement ?
L’invalidité, au sens du droit suisse, correspond à l’incapacité durable, partielle ou totale, d’exercer une activité lucrative à la suite d’une maladie ou d’un accident. Elle se distingue de l’incapacité de travail (souvent temporaire), et suppose que la situation perdure malgré des traitements ou des mesures de réadaptation.
"Ce n’est pas l’atteinte médicale en tant que telle qui ouvre un droit à une rente, mais la perte de gain qu’elle entraîne, compte tenu des possibilités de reconversion ou d’adaptation de poste."
Trois piliers (encore eux) pour faire face à l’invalidité
Le système suisse de prévoyance repose sur trois piliers, qui s’activent chacun à leur niveau :
- Le 1er pilier – Assurance invalidité (AI) : couvre les besoins vitaux. Une rente est versée dès 40 % d’invalidité, proportionnelle au taux reconnu.
- Le 2e pilier – Prévoyance professionnelle (LPP) : il complète l’AI si l’assuré est affilié à une caisse de pension. La plupart des caisses fonctionnent aujourd’hui selon le modèle de la primauté des cotisations : la rente dépend donc du capital accumulé sur le compte de prévoyance au moment de l’invalidité, augmenté d’un avoir projeté jusqu’à la retraite.
- Le 3e pilier – Assurances privées (3a / 3b) : contrats facultatifs permettant de couvrir les lacunes du système public. Ils offrent souvent une rente complémentaire ou un capital invalidité. Les conditions varient selon les contrats.
L’AI à la base de tout les calcules
Le taux d’invalidité reconnu par l’AI est le point de référance pour les autres acteurs du système. La plupart des institutions de prévoyance professionnelle, ainsi que les assureurs privés, s’alignent sur ce taux, même si certains peuvent utiliser des grilles d’évaluation indépendantes.
Le calcul du taux AI repose sur la méthode de la comparaison des revenus : il s’agit d’estimer le revenu que l’assuré aurait pu réaliser sans atteinte à la santé, puis de le comparer au revenu qu’il peut encore obtenir dans une activité adaptée à son état.
Exemple 1 – Enseignant victime d’un AVC
Un enseignant de 45 ans gagne 90’000 CHF par an. À la suite d’un AVC, il ne peut plus enseigner en raison de troubles cognitifs, mais peut assumer un poste de coordination administrative à temps partiel (70 %), rémunéré 50’000 CHF/an.
Calcul du taux AI :
- Revenu avant invalidité : 90'000 CHF
- Revenu après invalidité : 50'000 CHF
- Perte de gain : 90'000 – 50'000 = 40'000 CHF
Ce taux donne droit à une rente AI partielle 44% (40'000 ÷ 90'000) × 100 = 44 %), qui ouvre aussi les prestations de la LPP à hauteur équivalente, et potentiellement celles des assurances privées selon les contrats.
Exemple 2 – Mère au foyer atteinte de douleurs chroniques
Une mère de famille (sans activité lucrative) s’occupe du foyer à 100 %. À la suite d’un accident, elle souffre de douleurs chroniques qui limitent fortement sa mobilité. L’AI évalue la capacité restante pour chaque tâche :
Tâches | Poids | Capacité | Perte | Contribution |
Ménage et courses | 40 % | 50 % | 50 % | 20 % |
Soins aux enfants | 40 % | 70 % | 30 % | 12 % |
Cuisine et lessive | 10 % | 80 % | 20 % | 2 % |
Loisirs & sorties | 10 % | 50 % | 50 % | 5 % |
Total invalidité | — | — | — | 39 % |
À 39 %, aucune rente AI n’est octroyée (seuil minimum : 40 %). Si la personne exerçait aussi une activité rémunérée à temps partiel, une méthode mixte serait utilisée pour pondérer le résultat.
Un système pas toujours équitable
Ce principe de perte de gain est cohérent sur le plan assurantiel, mais ses effets peuvent paraître injustes dans certaines situations.
Prenons, à titre d’exemple extrême et purement illustratif, un chirurgien rémunéré 500'000 CHF par an. À la suite d’une amputation partielle du pouce, il ne peut plus opérer et se reconvertit dans un poste médical administratif à 100’000 CHF/an. La perte de gain est massive, donc son taux d’invalidité est élevé (80 %), malgré une atteinte relativement limitée.
À l’inverse, un jardinier qui devient paraplégique peut se reconvertir comme employé de bureau avec un revenu équivalent à celui qu’il percevait avant l’accident. Il ne subit donc pas de perte de gain : malgré une atteinte physique majeure, il peut être considéré comme non invalide aux yeux de l’AI.
Ce système vise à compenser une perte économique, pas une atteinte physique ou morale. Ce qui en fait un modèle rationnel, mais pas toujours intuitif pour les assurés.
Faire un bilan de sa couverture invalidité
Dans une société où les revenus soutiennent un niveau de vie, un logement, des enfants, et des engagements financiers, la perte soudaine de capacité de gain peut être désastreuse.
Or, beaucoup de personnes sous-estiment les lacunes de leur couverture. Le 1er pilier (AI) reste modeste, et la LPP dépend fortement du revenu assuré. Les assurances privées sont souvent mal comprises ou inadaptées.
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Raphaël Jordi, B.Sc. Econ.