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La réputation des banques privées suisses s’est construite sur un savoir-faire reconnu : sélectionner les bons titres, protéger les portefeuilles lors des crises et générer une valeur ajoutée durable. Mais depuis quelques années, une alternative séduit de plus en plus d’investisseurs : les ETF indiciels. Leur promesse est radicalement différente : suivre le marché sans fioritures, avec des frais réduits au strict minimum.
Deux philosophies opposées
Prenons un exemple concret. D’un côté, le fonds World Equities de Piguet Galland, géré activement. Sa construction repose sur un mélange d’ETF, de fonds et d’actions en direct, avec la possibilité d’ajuster l’exposition selon la lecture des marchés par l’équipe de gestion. De l’autre, l’iShares Core MSCI World ETF, qui réplique mécaniquement l’indice mondial des grandes entreprises des pays développés, sans chercher à anticiper quoi que ce soit.
Les deux offrent une porte d’entrée sur les marchés mondiaux, mais selon deux logiques diamétralement opposées : l’une mise sur l’expertise humaine, l’autre sur la discipline et la transparence des indices.
Le poids invisible des frais
C’est ici que la différence devient criante. Le fonds actif facture environ 2 % de frais annuels, contre seulement 0,2 % pour l’ETF. Année après année, cet écart grignote le rendement de l’investisseur. Pour rattraper ce handicap, le gestionnaire actif doit systématiquement battre le marché, ce qui est rare et difficile.
Et ce n’est pas tout. Les fonds distribués par les banques privées s’accompagnent souvent de frais d’entrée, dans notre cas, jusqu’à 5 % du capital investi, ainsi que de frais de sortie en cas de rachat anticipé. Ces coûts ne sont pas toujours appliqués, mais ils existent, et peuvent réduire sensiblement le rendement final.
Une simulation parlante
Pour rendre les écarts plus concrets, imaginons un investisseur qui place 500’000 CHF sur dix ans :
- Avec l’ETF MSCI World, son capital atteindrait environ 1,38 million CHF.
- Avec le fonds actif, il culminerait à 1,14 million CHF.
La différence atteint près de 250'000 CHF après dix ans (soit 25'000 CHF/an), uniquement en raison des frais et des performances nettes.
Le graphique ci-dessous illustre cette évolution comparée (hors frais d’entrée éventuels).

Un regard plus quantitatif
Les chiffres historiques donnent déjà un verdict clair. Mais qu’en est-il lorsqu’on simule de multiples scénarios possibles à l’avenir ?
Pour le savoir, j’ai réalisé une simulation Monte Carlo sur 10’000 trajectoires d’investissement de 500’000 CHF sur 10 ans. Cette méthode prend en compte la volatilité et l’incertitude des rendements, et permet de visualiser un éventail de résultats possibles plutôt qu’un simple scénario moyen.
Résultats :
- ETF iShares Core MSCI World : valeur finale médiane autour de 1,28 million CHF après 10 ans, avec un intervalle de probabilité (90 %) allant de 617’000 à 2,46 millions CHF.
- Fonds actif Piguet : valeur finale médiane autour de 1,07 million CHF, avec un intervalle de 546’000 à 2,01 millions CHF.
- Probabilité que le fonds batte l’ETF : seulement 38 %.
Le graphique ci-dessous illustre la distribution des résultats possibles.

Que faut-il en retenir ?
Cette comparaison illustre une tendance largement documentée : sur le long terme, la gestion passive surpasse la majorité des fonds actifs, surtout lorsque ces derniers supportent des frais élevés.
Mais il serait simpliste d’en tirer une vérité absolue.
- Du côté des banques privées, on peut critiquer un modèle qui repose encore trop sur des frais d’entrée, une facturation opaque et une promesse de valeur ajoutée rarement mesurée objectivement. Ce système fonctionne tant que la relation de confiance prime sur l’analyse des chiffres mais il devient difficile à défendre face à la transparence des ETF.
- Du côté des ETF, la critique existe aussi : ils standardisent les portefeuilles, créent une forte concentration sur quelques géants technologiques et ne prennent aucune décision tactique en cas de crise. Un investisseur 100 % passif accepte d’être entièrement exposé aux excès du marché, sans protection.
Mon regard
En pratique, il ne s’agit pas de trancher entre gestion active et passive, mais d’en mesurer les forces et les limites. Un ETF MSCI World reste une solution simple, robuste et peu coûteuse pour s’exposer aux actions mondiales.
La gestion active, elle, conserve une pertinence lorsqu’elle est exercée avec rigueur et transparence. Mais trop souvent, ses frais traduisent surtout le coût de structures prestigieuses qui rassurent plus qu’elles ne créent de valeur. Pour de nombreux investisseurs, ce biais relève du buveur d’étiquettes : payer pour le prestige, sans garantie que le contenu soit réellement supérieur.

Raphaël Jordi, B.Sc. Écon. — Planificateur Financier Dipl. IAF
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