Faut-il Rester Endetté ou Viser le Zéro Dette ?

Faut-il Rester Endetté ou Viser le Zéro Dette ?

Lundi, Février 24, 2025

Alors que la valeur locative pourrait être remise en question, la gestion de l’endettement hypothécaire devient un enjeu clé pour les propriétaires suisses. Faut-il conserver sa dette pour optimiser sa fiscalité, ou privilégier une sécurité financière totale ?

L’endettement hypothécaire 

L’endettement hypothécaire constitue une variable clé dans la gestion patrimoniale, oscillant entre une optimisation fiscale stratégique et une contrainte budgétaire. En Suisse, le maintien d’une dette hypothécaire est souvent perçu comme un levier d’arbitrage entre imposition et liquidité, notamment en raison de la valeur locative, qui impose une fiscalisation d’un revenu fictif aux propriétaires occupants. Contrairement à d’autres juridictions où l’objectif est d’amortir rapidement l’emprunt, le système suisse incite, de par ses particularités fiscales, à une approche plus nuancée de l’endettement. Mais cette stratégie demeure-t-elle pertinente dans l’environnement actuel de taux d’intérêt et d’évolution fiscale ?

Mécanisme d’Optimisation

Le choix de conserver un niveau d’endettement élevé repose essentiellement sur un calcul d’arbitrage entre le coût du capital et la rentabilité des investissements alternatifs. Tant que les intérêts hypothécaires demeurent fiscalement déductibles et que le taux d’emprunt est inférieur au rendement espéré d’un portefeuille d’investissement équilibré, il est économiquement rationnel de maintenir une dette hypothécaire. L’effet de levier joue ici un rôle fondamental : en allouant des capitaux autrement immobilisés à des placements à rendement espéré supérieur, l’investisseur maximise l’efficacité de son allocation d’actifs.

Prenons un exemple quantifié : si un propriétaire emprunte à un taux hypothécaire de 2 % et qu’il peut obtenir un rendement moyen de 5 % sur un portefeuille diversifié d’actions et d’obligations, le différentiel de rendement brut s’établit à 3 %. Une gestion optimale du capital privilégierait donc un maintien de la dette et une allocation stratégique des capitaux propres.

Étude de Cas*

Considérons le cas de Madame et Monsieur Müller, un couple avec deux enfants disposant d’un revenu annuel de 160'000 CHF. Ils viennent d’acquérir un appartement d’une valeur de 1'000'000 CHF à Lausanne, financé par une hypothèque de 800'000 CHF à un taux de 2 %. Lors de leur déclaration fiscale, ils doivent inscrire la valeur fiscale de leur bien dans leur patrimoine et déclarer la valeur locative comme revenu imposable.

Le fisc estime leur valeur locative à 28'000 CHF. Avec un taux marginal d’imposition de 35 %, et sans aucune déduction, cela engendrerait une charge fiscale additionnelle de 9'800 CHF. Toutefois, plusieurs mécanismes atténuent cet impact. Une déduction forfaitaire de 20 % pour frais d’entretien réduit cette charge de 5'600 CHF. De plus, la déduction des intérêts hypothécaires, s’élevant à 16'000 CHF (800'000 CHF à 2 %), abaisse leur base imposable, ramenant la valeur locative nette imposable à 6'400 CHF. La charge fiscale nette supplémentaire s’établit ainsi à 2'240 CHF, bien inférieure à celle initialement envisagée.

Cet exemple met en exergue le rôle central de l’endettement dans la gestion fiscale des propriétaires. La dette hypothécaire, en permettant des déductions fiscales, atténue la charge générée par la valeur locative, rendant ainsi l’arbitrage entre remboursement accéléré et maintien de l’emprunt non trivial.

*Les valeurs proposées dans ce cas sont volontairement fictives afin de faciliter la compréhension du cas.

Les Enjeux du Remboursement Anticipé

Si l’endettement stratégique constitue un levier pertinent pour optimiser son exposition fiscale et maximiser son rendement, le remboursement anticipé d’une hypothèque n’en demeure pas moins une approche prudente et sécurisante. L’absence de dette garantit une stabilité financière accrue, en supprimant la dépendance aux fluctuations des taux d’intérêt et aux politiques bancaires. Ce facteur devient particulièrement déterminant à l’approche de la retraite, période durant laquelle les institutions financières exigent souvent une réduction du niveau d’endettement.

Cependant, solder une hypothèque implique d’immobiliser une part substantielle de son capital dans un actif peu liquide. Cette contrainte peut limiter la diversification du patrimoine et restreindre les capacités d’investissement. Ainsi, viser le zéro dette peut s’apparenter à un choix dicté davantage par une aversion au risque que par une stricte rationalité financière.

Facteurs Déterminants dans le Choix d’une Stratégie

L’orientation entre maintien de l’endettement et remboursement accéléré dépend de plusieurs paramètres clés :

  • Comparaison entre le coût de la dette et les opportunités de rendement : Lorsque le rendement des placements est significativement supérieur au taux hypothécaire, l’effet de levier joue en faveur du maintien de la dette.
  • Cycle de vie et besoins en liquidité : Un investisseur en début de carrière peut exploiter pleinement le levier de l’endettement, tandis qu’un retraité privilégiera la stabilité d’un bien entièrement payé.
  • Évolution des taux d’intérêt : Un contexte de taux bas encourage la dette longue durée, alors qu’une remontée des taux réduit l’attrait de cette stratégie.
  • Cadre fiscal et réformes législatives : Toute modification de la déductibilité des intérêts ou de la fiscalité immobilière peut influencer la rentabilité d’un endettement prolongé.

La Suppression Annoncée de la Valeur Locative

D’ici fin 2025, la suppression de la valeur locative pourrait être mise en votation, bien que son adoption et ses modalités restent incertaines. Actuellement, cette imposition d’un revenu fictif incite de nombreux propriétaires à conserver une dette afin de réduire l’impact fiscal global. Toutefois, si elle venait à être supprimée, il est peu probable que l’État renonce à cette source de revenus sans la remplacer par un autre mécanisme fiscal. L’intérêt économique du maintien d’une hypothèque dépendra donc non seulement de cette évolution législative, mais aussi des éventuelles nouvelles formes d’imposition sur le patrimoine immobilier qui pourraient émerger en conséquence.

Vers une Approche Contextuelle et Dynamique

Le choix entre maintenir une dette hypothécaire et viser un remboursement anticipé n’admet pas de réponse universelle, tant il dépend des conditions de marché, des objectifs patrimoniaux et du cadre fiscal en vigueur. Si l’effet de levier peut constituer une source de rendement supérieur dans un environnement de taux bas et de fiscalité favorable, la suppression imminente de la valeur locative pourrait rebattre les cartes et inciter à un arbitrage plus prudent.

L’approche optimale repose donc sur une analyse continue des conditions économiques et fiscales, combinée à une évaluation individualisée du profil de risque de l’investisseur. Il est essentiel d’élaborer plusieurs scénarios intégrant l’ensemble de la situation financière et patrimoniale avec l’aide d’un professionnel. Comparer ces scénarios permet d’anticiper les impacts fiscaux et financiers potentiels et d’ajuster sa stratégie en fonction des évolutions législatives et des dynamiques de marché, garantissant ainsi une allocation du capital en phase avec les objectifs financiers à long terme.

Raphaël Jordi, B.Sc. Econ.

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